Vincent Chatellier, économiste « L’Afrique du Nord doit anticiper l'insécurité de ses importations de produits laitiers à l'avenir »
S’adressant aux décideurs et aux acteurs des filières laitières du Maghreb, Vincent Chatellier, ingénieur de recherche à l’Inrae, a alerté sur les probables tensions à venir sur le marché international des produits laitiers. À ses yeux, la sécurité de l’approvisionnement sur le marché mondial n’est pas garantie pour le continent africain. Il a exposé son point de vue, le 7 mars à Tunis, lors du 4e symposium « Lait, vecteur de développement » organisé par les institutions agricoles tunisiennes (1) en lien avec le Cirad, l’Inrae et l’Idele.
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Vous anticipez que le lait sera un produit très « challengé » dans les années à venir. Pour quelles raisons ?
Actuellement trois grands pays font l’essentiel du commerce mondial à l’export. L’Europe à 27 représente 33 % des exportations en valeur, la Nouvelle-Zélande 25 % et loin derrière les États-Unis sont à 8 %. Ce trio conditionne l’essentiel des flux de matière laitière à l’échelle internationale. Or, le plafonnement de la production en Nouvelle-Zélande la conduit à rechercher progressivement moins le développement des volumes et plus celui de la valeur ajoutée. Cela pourrait alors avoir un impact auprès des pays pauvres, importateurs de produits laitiers à bas coût. La dynamisation des exportations de l’Union européenne (UE) à la suite de la fin des quotas laitiers se ralentit sur les trois dernières années. Des pays, tels que les Pays-Bas ou le Danemark, n’ont plus la volonté de développer davantage leur production pour exporter. L’Irlande aura fait le plein dans quelques années. Même la France, qui aurait le potentiel, n’est plus actuellement en capacité de développer ses exportations. La croissance des exports de l’UE est donc très challengée aujourd’hui notamment en lien avec la Pac et le Green Deal qui oriente vers une baisse de l’intensité productive.
En quoi cela impacte-t-il particulièrement l’Afrique du Nord ?
Sur 76 milliards d’euros d’échanges mondiaux de produits laitiers en 2021 (hors échanges intra-UE), l’Afrique du Nord est la troisième zone d’importation mondiale avec 3,2 milliards d’euros, loin derrière la Chine (16,2 milliards d’euros). Elle importe avant tout des poudres grasses puis des poudres maigres qui représentent, ensemble, près de 50 % des importations en valeur. L’UE est le premier fournisseur avec près de 50 % de ces importations, devant la Nouvelle-Zélande (21 %). Elle a de nombreux clients. Dans un contexte où ses concurrents sont en train de caler, la sécurité de l’approvisionnement en produits laitiers européens demain n’est pas un acquis définitif pour le continent africain dont l’Afrique du Nord. Ajoutons qu’au sein de l’UE, la France est en première place pour fournir l’Afrique du Nord devant les Pays-Bas et la Pologne. L’Afrique du Nord a donc orienté une part importante de sa stratégie d’approvisionnement sur quelques pays européens dont seuls la France et la Pologne ont encore un potentiel de développement.
La France exporte-t-elle en Afrique ailleurs que dans les seuls pays du Maghreb ?
L’Afrique a capté l’équivalent de la production de 10 % des exploitations françaises de produits laitiers en 2022. L’Afrique du Nord, qui a acheté pour 460 millions d’euros de produits laitiers à la France en 2022, offre plutôt des marchés lucratifs à l’exception de l’Algérie. Mais la France exporte aussi sur les marchés ouest-africains (235 millions d’euros en 2022) qui privilégient eux les produits les moins chers. Apparues autour de 2010-2015, les poudres de lait dites MGV (poudres de lait réengraissées avec des matières grasses végétales) séduisent ces États dans leur stratégie d’apaisement social. Ceux-ci ferment ainsi les yeux sur ce succédané de poudre de lait qui entrave le développement des filières laitières locales. La France est toutefois moins présente sur ces produits que l’Irlande, la Pologne et les Pays-Bas lesquels concurrencent les autres poudres.
Quelles recommandations feriez-vous aux États et acteurs des filières laitières du continent africain ?
Un nécessaire ajustement s’impose entre le développement d’une production laitière régionale, certes avec des contraintes, et une dépendance qui doit être raisonnable et mesurée. Dans un marché tendu, le prix de vente de produits laitiers dans le monde de demain a de grandes chances d’augmenter. L’Afrique achète majoritairement des produits de moindre valeur que sont les poudres grasses, maigres ou les poudres réengraissées avec des matières grasses végétales. Elle ne peut être assurée de pouvoir s’approvisionner sur un marché mondial concurrentiel. D’autant que face à elle, la Chine mais aussi le Japon ou la Corée du Sud ont fait la preuve de leur solvabilité. Malgré l’augmentation des prix observée ces dernières années, ces importateurs n’ont d’autres choix que d’acheter pour répondre à leurs besoins.
(1) : l’Office de l’élevage et des pâturages (OEP) et l’Institut national de recherche agronomique tunisien (Inrat)
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